Brésil, cela faisait longtemps que j’y pensais
Je voulais aller au Brésil. Je n’avais pas de contacts et beaucoup d’excuses, manque de temps – manque de moyens (quand on a l’argent, on n’a pas le temps / quand on a le temps, on n’a pas d’argent), peur de l’inconnu… et pendant ce temps-là la forêt disparaît, chaque jour un peu plus…
Mais les forêts et les montagnes m’ont toujours attirée.
Visite d’un jeune français qui revenait du Brésil
Un jour, il a près de cinq ans, mon ami Angel, voit passer un jeune client français, à son local Rincón de Angel. Dans ces cas-là, il m’appelle et me l’envoie.
Il cherchait une matière décorative pour présenter une collier dans une petite boîte. Pendant que nous cherchons la solution, nous bavardons, il me raconte qu’il arrive du Brésil. Alors, je lui dis que j’ai l’intention d’y aller, mais que je ne sais pas où aller. Lui me dit où je dois aller…
Je vais rester volontairement un peu dans le vague, car Rodrigo ne souhaite pas qu’on vienne le visiter comme une attraction touristique… Certains curieux viennent voir Ureba l’urubu, le vautour très joueur et Keko la macaque d’un voisin qui apprécie beaucoup la tranquilité de l’endroit.
Donc, le Français m’écrit quelques mots sur mon carnet d’adresses. Dans le genre; «quand tu arrives dans le village, tu vois une pancarte «Autosustentabilidade», tu descends. Si tu ne trouve pas, demande Rodrigo. Tout le monde le connaît.» et son nom.
Il me précise que Rodrigo ne parle que Portugais (en réalité, il est entrain d’apprendre le Guarani) et n’a pas de portable. Il vit sans argent.
Et je n’en saurai pas plus.
Le voyage au Brésil
Le temps passe, j’avais un peu d’argent de côté et je trouve des promotions très intéressantes pour des vols et beaucoup d’envie de bouger. C’est ainsi que je suis partie au Pérou, fin novembre 2018.
En même temps, j’ai réservé pour mars-avril 2019, un aller-retour Santiago du Chili-Sao Paolo – Brésil, très économique, avec l’idée d’aller voir ce que faisait Rodrigo… Le peu qu’on m’en avait dit semblait très intéressant.
Le Brésil est un pays mythique pour les produits tinctoriaux, il doit même son nom à un bois exotique très recherché pour les teintures, nommé Brésil.
En avant pour l’aventure!
Une aventure linguistique au Brésil
Seulement deux semaines avant le voyage, quand je suis rentrée du Pérou, j’ai démarré les cours de Portugais sur Duolingo… C’était bien maigre.
Je parle couramment espagnol, j’ai aussi étudié un peu de catalan, d’italien et de latin, je lis donc le portugais sans trop de difficultés, mais à l’oral, c’est toujours plus compliqué. Bien que le Portugais semble plus concentré, plus compact.
Attention aux faux amis
Comme c’est souvent le cas avec des langues proches, il faut faire attention aux faux amis, des mots qui sonnent presque pareil, mais qui changent de sens d’une langue à l’autre.
Mes premiers achats au Brésil furent donc des revues et quelques livres pour mieux me familiariser avec la langue.
Je ne me suis pas trop mal débrouillée. Je suis arrivée sans grosses difficultés au but de mon voyage.
Heureusement, chez Rodrigo, il y avait Iafa, qui parlait aussi espagnol, italien et anglais. On voit souvent dans les magasins des affiches qui disent:
«We speak English, wir sprechen Deutsch, on parle français, Hablamos Portuñol« pour les touristes Argentins…
Les discussions étaient donc souvent amusantes, Rodrigo a fait beaucoup d’effort pour apprendre le Portugnol.
Les pancartes
L’endroit se caractérise par un grand nombre de pancartes explicatives ou donnant une idée de la philosophie de l’endroit.
Comment les traduire, leur rédaction est compliquée, comment faire qu’elles soient bien interprètées. Ils provoquent parfois des discussions avec les voisins Guaranis…
Le résultat d’heures de réflexions est très artistique, humoristique et philosophique.
Elles correspondent a des besoins très concrêts, par exemple, pour le tri des ordures, mais aussi «Entre sem chamar» (littéralement: Entrez sans appeler) due au fait que les visites ont tendance à se multiplier ce qui interrompt toute activité ou pour pousser à réfléchir «o que sobra?»…
Un défi personnel
Vu mes difficultés récurrentes dans la vente de mes produits, vivre sans argent ne pouvait qu’attiser ma curiosité…
Le défi de Rodrigo
Vivre et être indépendant, sans argent, il a commencé il y a plus de 6 ans. Et, il pense bien continuer ainsi. Cela fonctionne assez bien, en faisant des ajustements tous les jours. Cela demande beaucoup d’intelligence.
Philosophie au quotidien
Mais aussi philosophie du quotidien, il s’agit pour lui d’arriver à faire comprendre sa position concernant le rejet de l’argent… et de démontrer que sa décision est juste et viable…
On ne peut y coller d’étiquettes. Cela ne correspond pas toujours à ce que l’on pourrait imaginer comme endroit écologique. Rien n’est systématisé. Tout se réfléchi au cas par cas et on prend le temps nécessaire…
Economie de la Réciprocité
Tout peu entrer en échange… Le temps d’écoute, ses connaisssances, les fruits, le prêt d’outils… C’est un point de rencontre pour les voisins…
Les ordures
Il occupe une partie du terrain en échange du nettoyage des ordures, qu’il recycle dans la mesure du possible. Et il a beaucoup d’imagination pour cela. Le résultat de ses efforts (y compris leçons données à ses voisins…) est visible.
Il y a une différence notoire entre le «meuble à ordures» qu’il gère et les bacs à ordures que l’on peut voir dans le voisinage, débordant, sacs volant partout…
Le terrain est maintenant très propre, alors qu’il y a quelques années, il était parsemé d’ordures en tous genres. Maintenant, les voisins sont priés de faire le tri…
Tout ce qui peut être recyclé l’est… Seul le temps ne se recycle pas, d’où l’importance du tri au départ.
Les petits tas
Un jour, suite à une conversation concernant une voisine qui globalement voulait emporter plus que ce qu’elle apportait.
Je racontais à Rodrigo une histoire, malheureusement je ne me rappelle pas où, je l’ai entendue ou lue.
Ils s’agit de vendeuses de marché dans les Andes, certainement en Bolivie ou peut-être au Pérou, des Indigènes qui arrivent au marché avec leur marchandises dans un aguayo, sur leur dos, les présentent en petit tas sur la toile qu’elles étendent à même le sol… s’assoient devant leur étal et commencent à faire du troc, mais sans un mot. Peut-être parlent-elles chacune une langue différente, elles peuvent être simplement un peu taciturnes, fatiguées du voyage… Elles viennent parfois de très loin.
J’imagine très bien la scène par ce que j’ai vu lors de mes voyages au Pérou et en Bolivie. J’aime beaucoup visiter les marchés…
Elles commencent à faire évoluer les tas de marchandises à échanger, ajoutant, petit à petit de quelques bricoles, elles regardent leurs tas de côté, tout d’un coup l’équilibre est atteint, l’échange se produit et elles remballent chacune son nouveau tas, sans un mot.
Nous en avons beaucoup parlé, il y a encore quelques jours, je recevais un message d’une voisine de Rodrigo, ils voulaient plus d’explications… J’ai renvoyé ce résumé accompagné de photos de vendeuses boliviennes tirées d’internet.
Il est rare que je prenne des photos dans les marchés, on risque un peu les vols, mais aussi par respect pour les vendeurs qui ne sont pas des attractions touristiques.
Il faudrait essayer de le représenter en bande dessinée.
L’Agrofloresta – Brésil
Rodrigo pratique la permaculture. Le terrain qu’il cultive n’est que du sable. Mais il est tout de même assez productif.
Il cultive différentes plantes (cannes à sucre, patates douces, ignames, plantes médicinales variées) entre des arbres de préférence locaux (palmiers, café, cacao, goyaviers, bananiers, mais aussi à bon bois…) qui servent aussi de support à des filets pour des lianes comme les fruits de la passion ou les «caramuelas».
L’espace qui est assez restreint est utilisé au maximum. Il prépare aussi des plants, par bouture ou marcottage pour le troc, pour des projets de récupération de forêt, ou simplement pour l’aménagement du terrain. Rodrigo doit donc utiliser au maximum son espace.
Courbes de Niveaux et Spirales
Une des techniques de permaculture que Rodrigo utilise est la construction de courbes de niveaux, pour que les plantes utilisent au mieux la lumière solaire, mais l’ombre, l’accès à l’eau, pour produire un maximum de masse organique et retenir l’eau au maximum.
La production de biomasse est presqu’aussi importante que la production de fruits. Certaines plantes sont cultivées là essentiellement car elles en protègent d’autres. Cette matière organique couvre le sol, ce qui évite l’évaporation de l’eau et en pourrissant elle apporte des minéraux aux plantes.
Un Chemin qui s’étire
Une des initiatives de Rodrigo a été de rallonger, étape par étape, le chemin d’accès à la maison, pour que les visiteurs voient les différentes plantes, mises en valeur, expériences et ne pas avoir autant à réexpliquer à chaque visiteur tout le processus, ce qui est très long.
Rodrigo privilégie l’action à l’explication, son expérience est unique, basée sur des connaissances pratiques glanées un peu partout, mais surtout sur ses propres observations.
Les Guaranis
Dans les environs, il y a une communauté Guaranie, avec laquelle Rodrigo interagit depuis plus de 10 ans.
Ils viennent le visiter un peu tous les jours, viennent pêcher… voir si les fruits mûrissent… ils parlent… Lui essaie d’apprendre leur langue et de comprendre leur manière de voir le monde…
Le rêve de réparer des zones dégradées
Rodrigo est très préoccupé par la destruction de l’environnement, concrètement de la forêt, des arbres locaux sont remplacés par des plantes exotiques invasives telles que le jacquier qui pousse avec une facilité surprenante…
Il connaît certains endroits qu’il voudrait pouvoir rétablir. Sans doute, Rodrigo ne pense pas global, mais il agit local, comme le colibri de la légende…
Pourquoi teindre?
Rodrigo, qui est très minimaliste, m’a tout de suite demandé quel était l’intérêt de teindre. J’avais oublié que j’avais écrit un article sur ce thème, mais mes réponses d’alors ne l’aurait certainement pas convaincu.
Pour le plaisir
J’aurais certainement d’abord dit pour le plaisir, mais Rodrigo attend d’abord des raisons utilitaires.
Ecoprint
Avec Iafa nous avons fait de nombreux essais d’ecoprint sur coton, sur de vieux vêtements qui ont tout de suite changé d’allure. Nous leur avons redonné vie. Un produit de série devient un produit unique avec de jolies empreintes de feuilles…
Pour la solidité des filets
Dominique Cardon mentionne la teinture des filets et des voiles de bateaux en coton pour les rendre plus solides et sans doute moins visibles des poissons, dans le cas des filets.
Les filets sont un sujet qui intéresse Rodrigo, car il est aussi éventuellement pêcheur…
Filets
Cela faisait très longtemps que je voulais apprendre à tisser des filets, car c’est une technique très ancienne.
Rodrigo savait déjà réparer ses filets, mais il était curieux d’en savoir plus. Il s’intéressait particulièrement à des filets circulaires.
Il a donc demandé à ses amis pêcheurs de nous enseigner.
Les amis pêcheurs se sont succédés
Ils sont donc venus, les plus jeunes nous on enseigné à boucher les trous, ce que Rodrigo savait déjà faire.
Puis sont en sont venus d’autres qui nous on enseigné à poursuivre le travail, un dernier savait encore commencer depuis zéro.
Ce n’est pas très difficile, il faut être patient et appliqué. J’ai dû m’adapter pour travailler mes fibres habituelles.
Depuis, j’améliore ma technique. J’ai déjà commencé un article à ce sujet.
Métiers à clous et crochet
Comme je travaille avec des métiers à clous, très faciles à construire avec quelques bouts de bois et des pointes, j’ai enseigné à Rodrigo et à Iafa les bases de ce métier. Ils ont aussi appris à filer la laine.
Mais, Rodrigo était surtout curieux d’apprendre à crocheter. Je lui ai donc enseigné la plupart des points de base, en se faisant un sac-filet qui lui sera utile.
A chaque rang, il apprenait un point en partant du plus simple… Il y a pris goût, après le sac, il s’est fait quelques bonnets…
Les suites
L’endroit est en perpétuelle évolution, selon les apports, les résultats, les idées, les besoins qui apparaissent. Le chemin d’accès doit être encore un peu plus long… Les spirales d’irrigation doivent prendre leurs formes (presque définitives)… Je suis curieuse de revenir au Brésil pour voir cela.
Projets de cuisines solaires
Nous avons vu des plans de cuisinières solaires (pour économiser le bois de chauffage) et de déshidratateurs pour sécher des fruits (par exemple, des bananes qui ont la mauvaise idée de mûrir presque toutes en même temps, pour le cacao et le café…).
Un ami et voisin s’est fabriqué un déshydratateur solaire, il l’utilise déjà. C’est pratique pour conserver des produits naturels, vu le climat chaud et humide.
Rodrigo a déjà préparé une zone plus ensoleillé pour ce projet.
Sacs et autres objets en crochet
Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir de recevoir des photos des amis Guaranis de Rodrigo, tous équipés de sacs et de bonnets tricotés par lui…
Conclusion
Ce petit coin du Brésil est un lieu d’échange de savoir informels entre les diverses communautés qui peuplent l’endroit (Guaranis, voisins, autres habitants, pêcheurs, propriétaires d'»hostel»…). Certains viennent seulement attendre le bus pour la ville en conversant, d’autres passent plusieurs heures…
J’espère que ce lieu unique survivra longtemps à la globalisation. Chacun apporte et repart avec au moins un peu de sagesse…