/// Teintes, quelles chimies? /// Article en cours de rédaction
Nouvel article du 9 Février 2020
Prochain retour en France du 25 février au 12 novembre
Organisons donc des ateliers! C’est facile
Histoire des gammes de teintes et des couleurs
Encore une fois, les teintes et les couleurs sont un des thèmes préférés de Michel Pastoureau. En effet, cet article lui doit beaucoup. Comme lui, je vais me centrer sur les palettes occidentales, celles que je connais le mieux pour le moment.
Cependant, je ferais tout de même une petite incursion dans les Andes et notamment au Pérou et au Nord du Chili que j’ai la chance de connaître un peu mieux.
Bien sûr, j’espère que mon prochain tour du monde textile et tinctoriale me permettra de combler les lacunes en ce qui concerne les autres continents. Prendre en compte leurs points de vue serait souhaitable, car ils ont certainement beaucoup à apporter dans ce domaine.
Donc, cet article est un complément des deux autres articles déjà publiés sur le thème de la couleur. Le sujet est suffisamment large pour permettre la rédaction de nombreux textes sans se répéter.
1 – Un peu d’histoire
A – Palette de couleurs de la préhistoire
Il ne reste malheureusement pas de traces de textiles de la préhistoire ancienne, tout laisse à supposer que la palette de base reprend les teintes des peintures des grottes de Lascaux, Chauvet, Altamira…
Certains détails dans les statuettes dites Vénus font penser à des représentations de textiles.
On a tout de même trouvé à Monte Verde, près de Puerto Montt des restes cordes de fibres végétales et un certain nombre de restes organiques très bien conservés de plus de 14.000 ans.
Il ne reste pas de traces des peintures corporelles. Cependant, elles ont dû apparaître très tôt. Elles sont souvent à base végétale, du genre roucou ou fruit immature de jenipap, comme le font encore aujourd’hui les Guaranis, au Brésil. C’est complètement biodégradable.
Après ces teintures organiques, il nous reste donc les pigments des peintures rupestres.
Blancs
La craie et la chaux sont des pigments blancs faciles à trouver. Ils sont aussi mélangés à d’autres pigments…
Ocre jaune, ocre rouge, argiles
Généralement, les ocres et les argiles rouges sont faciles à trouver.
J’aurai du mal a faire mieux en paraphrasant Wikipedia, je préfère donc la citer:
« Les ocres jaunes (PY43 dans le Colour Index) et rouges (PR102) sont des pigments importants de la palette des artistes de toutes les époques. Grâce à leur coût modique, elles sont les rares pigments naturels encore présents dans les nuanciers de peintures, même si les fabricants tendent à les remplacer par des oxydes de fer synthétiques (PY42 ou PR101), plus réguliers et couvrants.
Le chauffage des pigments permet également d’obtenir une grande variété de nuances. Ainsi, les ocres jaunes après calcination à 700 °C se transforment en ocres rouges.
Comme le vin, les ocres possèdent leurs crus : les ocres jaunes peuvent être verdâtres ou orangées et donner des ocres rouges plus ou moins brunes et chaudes. Les qualités les plus claires sont aussi les plus transparentes.
La non-toxicité des ocres autorise leur emploi dans toutes sortes de techniques (huile, aquarelle, acrylique, pastel, tempera, fresque). Elles sont compatibles avec tous les liants (graisses animales, huiles végétales, eau…) et les autres pigments. «
Wikipedia
Noir de charbon, suie
Ces produits sont bien sûr d’obtention facile et disponibles partout, comme déchets des activités domestiques. Ils jouissent d’une très grande stabilité dans le temps.
Couleur internationale des pétroglyphes
Ces couleurs sont donc celles de pratiquement tous les pétroglyphes.
Quand je vivais à Iquique, il y avait un peintre, professeur de peinture, qui peignait des toiles en coton en utilisant ces couleurs. Il peignait habituellement les pétroglyphes et les géoglyphes de la région.
Cet artiste emmenait ses élèves visiter les sites archéologiques tels que Cerro Pintado, Quipisca, Parca, Mamiña, Ariquilda, Tamentica, Huatacondo… Ils sont parfois difficiles d’accès.
Il s’appelait Gary, et quand je suis retournée à Iquique, je ne l’ai pas retrouvé, je ne sais pas ce qu’il est devenu.
Teintes des premières céramiques
Cette palette est aussi celle des premières céramiques.
J’avoue que je ne connais pas très bien l’histoire de la céramique, mais il me semble que les premiers bleus et verts sont arrivés plus tardivement. Les vrais rouges et les orangés sont encore plus difficiles à obtenir et nécessite une très bonne régulation de la température. La gamme des teintes s’est développée avec le verre et les émaux céramiques.
En céramique, verrerie et émaillage, les sels minéraux font apparaître leurs couleurs lors de la cuisson et peuvent varier selon si celle-ci se déroule dans une atmosphère avec ou sans oxygène, il y a là aussi une réaction Redox.
Si je ne me trompe pas, cela démarre déjà du côté de Sumer.
Petites remarques
- Les couleurs que je viens de citer ne sont pas des colorants textiles, mais des pigments dont la texture est trop grossière pour se fixer durablement sur les fibres. La différence entre pigments et colorants est importante.
- En peinture, les deux peuvent être utilisés, en teinture non.
- Cependant, la suie est utilisée dans certaines teintures naturelles sur textiles en Amérique Latine. On me l’a mentionnée plusieurs fois, mais jamais utilisée seule.
- La chaux, tout comme la cendre, le sel de cuisine et le bicarbonate peut être utilisée comme modificateur, notamment pour renforcer les jaunes. J’en parle plus en détails dans l’article sur les mordants.
La palette préhistorique
J’ai donc dessiné une petite infographie représentant la palette préhistorique selon Michel Pastoureau.
B – Les teintes de l’antiquité
Dès le néolithique, la palette s’est très vite étendue.
Des tablettes sumériennes donnent des recettes complètes de teinture à la garance (mordant compris) et d’indigo. Elles indiquent même des solutions pour falsifier la pourpre du murex, couleur des plus luxueuses.
Si dans la réalité la gamme des teintes est déjà très large, dans le domaine du vocabulaire c’est beaucoup plus flou.
En effet, Michel Pastoureau explique très bien dans ses nombreux livres comment la bible s’est remplie de couleurs au fur et à mesure des traductions et avec le temps. Aussi bien l’Hébreu ancien que le Grec ancien ou le Latin sont avares en termes de couleurs. Ainsi, les quelques termes existants couvrent des gammes très amples et correspondent plutôt à des notions de luminosité ou de saturation.
Dans ses textes, il analyse longuement l’évolution des termes de couleurs. Ainsi, dans de nombreuses langues, les termes qui désignent le « rouge » se confond souvent avec « beau » ou avec « couleur« .
Isidore de Séville, grand encyclopédiste (560-637), qui parle des teintures, colorants, pigments et peintures se contente encore de la palette Blanc-Rouge-Noir.
On ne peut pas regarder le passé avec notre point de vue imprégné par les apports de Newton, toutes les dernières découvertes scientifiques et la lumière d’aujourd’hui.
Les goûts ont beaucoup changés.
La palette chromatique d’Aristote
Comme illustration, je viens de créer une nouvelle infographie montrant la palette d’Aristote.
Cette palette a régné Europe jusqu’à la Renaissance.
C – Les teintes des Andes
Les premiers textiles
Évidemment, les premiers textiles étaient de couleurs naturelles. D’abord, les animaux, les camélidés en particulier: vigognes, guanaco, lama, alpaga, étaient d’abord beiges et blanc comme les deux premières espèces sauvages.
Le lama et l’alpaga sont des espèces domestiquées et la variété de couleurs (très grande) est due à la sélection des éleveurs. Les industries de la laine de camélidés font un tri des toisons sur une gamme de 24 teintes. Ce tri s’opère manuellement.
Le blanchissement des troupeaux d’alpagas est donc, semble-t-il, un phénomène assez récent. Les alpagas bancs, sont très blancs et leur laine n’a pas besoin d’être blanchie comme celle des brebis.
Dans les musées, les textiles les plus anciens sont généralement beige. D’abord, la créativité est centrée sur les techniques de filature très originales. Puis apparaissent de fines rayures d’ornement sur les bords ou au centre.
Des teintes très variées
Les nombreux textiles trouvés dans les tombes aussi bien dans le Nord du Chili qu’au Pérou, d’une qualité qui sort de l’ordinaire, dans des conditions de conservations remarquables, en sont la preuve.
Des teintes très saturées, lisses
Dans les Andes, on recherche des couleurs très saturées et lisse. Assez curieusement, on voit peu de blancs, sauf les gazes Chancay. Pourtant, ils avaient déjà sélectionné des cotons blancs et il devait bien y avoir déjà des camélidés blancs.
Les poils de camélidés sont plus lisses que la laine de brebis. Donc, ils reflètent plus la lumière. Cela signifie qu’il faut plus de matières tinctoriales pour la même teinte. Les Anciens remédiaient à ce problème en teignant des laines naturellement beiges ou grises.
Lors d’un atelier de teintures naturelles, à Mamiña, à 120 km d’Iquique, avec des amies Aymara et Quechua, nous avions obtenu un joli vert. En réalité, le schinus molle aurait dû nous donner un jaune soutenu. Mais la casserole était en fer et avait rouillé.
Nous avons là l’explication du ton vert. Cependant, la laine ne touchait pas toujours la paroi rouillée de la casserole, il en résulta une laine qui variait du vert clair au vert foncé.
J’étais très contente, mais mes amies étaient très déçues. Elles voulaient une laine de couleur unie.
Des techniques originales
Shibori, ikat, techniques de dessins double face inversée, tapisseries, gases…
D – Palette du Moyen-Âge
Teintes très vives et saturées
Durant longtemps, si les couleurs n’étaient pas assez saturées, elles étaient dites « affamées », notamment pour le rouge.
Là, il suffit de regarder un tableau de Brueghel, on voit une grande variété de couleurs.
La montée du bleu
Michel Pastoureau l’a décrit très bien dans ce livre. Il reprend différentes variantes d’un évangile apocryphe, contant une anecdote concernant un apprentissage raté de Jésus adolescent chez un teinturier, le résultat étant bien sûr un miracle.
Puis, dans les versions les plus anciennes, Jésus teint tout en bleu, ce qui est catastrophique, car le bleu n’était pas bien valorisé… Dans les versions ultérieurs, les copistes ont changé de couleur car maintenant le bleu est apprécié. Jésus teint alors tout en jaune, couleur de la discrimination…
Problèmes avec le vert et le noir
La teinture est aussi un fait de culture, avec ses interdiction…
Il y a donc des problèmes culturels de teinture en Occident pour le vert… En effet, la Bible n’aime pas les mélanges. Elle insiste à plusieurs reprise sur le fait qu’il ne faut pas mélanger le lin et la laine… Le concept s’étend au mélange des couleurs.
Le jaune et le bleu se teignaient chez différents teinturiers. Cela interdisait donc les doubles bains, dans le genre un pied de bleu avant une teinture en jaune pour obtenir une teinte de vert.
Ce problème n’existe pas dans le monde musulman, ni dans le monde andin, où on n’hésite pas à mélanger poils d’alpaga et coton.
Obtenir du noir est véritablement un problème technique. Presque tous les noirs tirent sur le brun, le bleu, le bordeau, le vert… Anciennement, teindre en noir, signifiait un bain de rouge, puis un bain d’indigo, un bain de tanins… et un petit bain de mordant de fer.
E – Newton et Goethe
Avant Newton, divers théoriciens de la peinture proposaient déjà de nouvelles palettes. Aucune n’a réussi à s’imposer.
La révolution du prisme
N’étant personnellement pas physicienne de formation, je me permets de vous renvoyer à cette page de Wikipedia, très documentée.
Voici donc le spectre visible complet, avec les différentes longueurs d’ondes.
La palette de Goethe
Goethe a élargi considérablement la recherche de Newton en étudiant l’opposition lumière/obscurité. En opposition à la science pure et limitée de Newton, dont la théorie découle d’un cas particulier.
Il considère la couleur d’un point de vue plus global et sans doute aussi plus émotionnel avec une nouvelle théorie des couleurs chaudes et froides.
Michel Pastoureau explique qu’au Moyen-Âge, on considérait comme chaud le bleu et froid le rouge… Ce qui n’est pas forcément faux, car le bleu absorbe plus la lumière que le rouge.
Cependant, il reste très scientifique.
Ainsi il fit apparaître un spectre complémentaire. En outre, il est à l’origine du cercle harmonique des couleurs.
Je vous invite vivement à voir ce documentaire qui résume très bien la théorie de Goethe.
Cela évoluera vers la gamme Pantone, outils de base des designers actuels.
Ce système s’oppose à la quadrichromie photographique, mais il la complète parfois en imprimerie.
C’est le principe qu’utilisent la majorité des imprimantes actuelles.
À écouter aussi en podcast, sur France Musique, une série de 4 émissions.
F – L’arrivée des teintes pastel et des rayures peu avant la révolution
Revenons aux teintures
Souvent, ces deux techniques se combinent.
Les découvertes techniques donnant un meilleur blanchissage permet de teindre en ton pastels, aussi plus économiques en quantité de matières tinctoriales.
Les rayures
Longtemps, les rayures étaient auparavant mal vues, toujours en vertu de l’idée d’éviter les mélanges. Les rayures étant assimilées à un mélange bariolé, elles servaient à discriminer.
Michel Pastoureau leur a consacré un livre.
Du point de vue aussi bien technique qu’économique, les rayures permettent de réduire les matières tinctoriales et/ou d’utiliser des restes de fibres déjà teintes, les tons pastels permettent en outre d’épuiser les bains de teinture. Ce n’est pas négligeable.
L’impression
Puis on passera à l’impression, soit au tampon en sérigraphie. Il s’agit là encore d’une économie, car la teinture couvre les fibres seulement en surface. En outre, cela permet de faire varier les motifs, en produisant plus rapidement.
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2 – Un peu de chimie des teintes
A – Chimie ancienne des couleurs
Les nombreuses fresques égyptiennes donne une idée de l’étendue de la gamme de couleurs de l’époque. La plupart des pigments utilisés étaient d’origine minérale.
Sur certaines fresques de Pompéi, l’utilisation de la garance a été démontrée. Le bleu Maya est obtenu à partir de l’indigo comme l’explique Michel Garcia dans un de ses DVD.
* Les teintes minérales
Les ocres
Les ocres jaune et rouge font partie des premiers pigments utilisés par l’homme. Ils sont faciles à trouver et à utiliser.
Dans son dernier livre « Jaune, histoire d’une couleur« , Michel Pastoureau commente, page 21: « Comment les peintre du Paléolithique ont-ils appris à transformer un élément terreux naturel – le minerai – en un produit pouvant servir à peindre – le pigment? De même, comment ont-ils eu l’idée de chauffer de l’ocre jaune pour obtenir de l’ocre rouge, voire de l’ocre brun? peut-on déjà parler d’une chimie des matières colorantes? de fait, différentes trouvailles ont prouvé que certains ocres jaunes étaient chauffés dans des creusets en pierre pour perdre leur eau et changer de couleur; quelques un de ces creusets nous ont été conservés et présentent encore des traces de couleur: du jaune, du rouge, du brun… »
Rouge de mercure
Le réalgar, le très toxique sulfure de mercure, par sa belle couleur, fut utilisé par de nombreuses civilisations, notamment dans l’ancien Mexique qui recouvrait les corps de leurs grands chefs.
Antimoine
Cet élément, était fort utilisé par les Égyptiens, en peinture bien sûr. Mais, aussi en maquillage, dans le khol.
Sels de cuivre
Vert de gris, oxydes de cuivre, carbonate de cuivre… Voici des sources de bleus et de verts, malheureusement assez instables…
Sels de plomb
La céruse, oxyde de plomb, blanc très courant en peinture, jusqu’à il y a peu. La céruse a aussi longtemps été utilisée en cosmétique.
Le plomb intervient aussi comme liant, adhésif et siccatif en peinture. Sa toxicité a provoqué de nombreux drames. L’industrie des peintures a eu beaucoup de mal à s’en passer. Paradoxalement, en trouve encore dans des cosmétiques, notamment des rouges à lèvres…
Arsenic
L’orpiment, pigment jaune or toxique très utilisé traditionnellement en peinture. L’arsenic intervient aussi dans certains verts.
D’autres sels minéraux dangereux ont aussi été utilisés. Les peintres sont les champions de l’usage de produits toxiques.
* Les teintes animales
Depuis l’Antiquité, les animaux ont été mis à contribution surtout dans le domaine de la teinture textile. Ce sont généralement des produits de luxe.
Pourpre de murex
Cette teinture provient des glandes hypobrachiales jaune de certains coquillages, escargots de mer. Le liquide de cette glande jaune vire au violet, au pourpre ou au bleu lorsqu’il est exposé à la lumière du soleil.
Des millions de crustacés ont été sacrifié seulement pour teindre les vêtements des élites méditerranéennes.
Chimiquement, c’est très proche de l’indigo, avec des propriétés photochimiques en plus.
Vermillon de kermes
Il s’agit d’un petit parasite, kermes vermilio qui attaque des espèces de chênes des pourtours méditerranéens, dont notamment, le chêne kermès Quercus Coccifera.
Maintenant ces arbres sont en voie d’extinction et le kermès encore plus rare. La collecte de ces insectes alimentait de nombreuses familles. Comme les cochenilles, il donnait de très beau rouges.
Cochenilles polonaise et arménienne
Avant la découverte du Nouveau Monde et l’arrivée de la cochenille du Mexique, ont utilisait deux autres sortes de cochenille: la polonaise et l’arménienne.
Cochenille polonaise
Cette cochenille parasite les racines d’un certain nombre de plantes. On l’appelle polonaise, car elle était importée de Pologne, mais sa zone de diffusion va depuis la France jusqu’à la Mongolie. Cependant, « elle ne vit que dans des lieux incultes: steppes, marais, zones inondables« . Comme l’explique Dominique Cardon, dans « Le monde des teintures naturelles« .
En outre, elle mentionne que la récolte de cette cochenille permettait de payer ses impôts en Allemagne, ce qui révèle son importance économique.
Cochenille arménienne
La cochenille arménienne est un peu plus grosse que la polonaise, ne vit qu’au pieds de deux plantes, dans des zones marécages, ces mêmes zones sont entrain de disparaître.
La femelle adulte est récoltée au moment où elle émerge du sol pour s’accoupler, très tôt le matin.
Cette cochenille, plus grosse, contient moins de colorant que la polonaise. Donc, elle était moins appréciée.
Autres cochenilles du Vieux Monde
Ensuite, Dominique Cardon mentionne une cochenille chinoise dite du Sophora, utilisée notamment dans le Cachemire et une cochenille égyptienne qui vit sur des graminées de Haute Égypte employée localement de même que le kermès.
Laque d’Inde et Laque de Birmanie
Il s’agit de petits parasites de la famille de la cochenille qui attaque un certain nombre d’arbres. Ces insectes bourrés d’acide carminique (colorant rouge) s’entourent d’une résine naturelle pour se protéger.
Cette résine est utilisée en alimentation et en pharmaceutique sous le code E904. C’est un plastique naturel et il a beaucoup d’application dans le domaine des vernis, dans la fabrication de la cire à cacheter…
Le nettoyage de la gomme laque libère donc l’acide carminique tinctoriale.
* Les couleurs végétales
Les basiques grand teint
Garance (Rubia Tinctoria)
Rubiacée, dont on utilise les racines après 5 ans de culture, depuis l’antiquité pour teindre en rouge. Cette plante a été cultivée sur de très grandes surfaces en Europe pour la teinture en rouge écarlate. Il y a d’autres rubiacées qui teignent en rouge.
Pastel ou guède
Brassicassée, Isatis Tinctoria, on extrait de l’indigo de ses feuilles, récoltées à plusieurs reprises. Plante cultivée depuis l’Antiquité. Les feuilles sont mises à fermenter, ce qui libère l’indigo lors d’une réaction Redox.
Les Gaulois et les Celtes en général maîtrisaient très bien cette technique. Ils l’utilisaient comme peinture corporelle comme l’indique Jules César dans son livre sur la Guerre des Gaules.
Gaude
Reseda Luteola, jolie plante à fleur jaune, préférée parmi tous les jaunes que nous offre la nature, et ils sont nombreux. Anciennement cultivée, maintenant elle est assez rare. En teinture, on emploie la plante entière.
Tanins
Grande famille de colorants naturels présents dans une grande quantité de végétaux. Je leur ai déjà consacré un article.
Grand teint et petit teint
Ce sont les principales plantes grand teint autorisées par les strictes normes de Colbert qui régissent strictement les conditions de teintures pour une qualité maximale.
Les teintures de luxe de petit teint
Orseille
Il s’agit d’une série de lichens que l’on faisait fermenter dans de l’urine et qui donne des roses, des mauves, jolis mais peu solides. On peut remplacer l’urine par de l’ammoniaque.
Safran, carthame
La célèbre et très coûteuse épice aussi teint en jaune. En Chine, c’était la couleur de l’Empereur. Toute sa papeterie était teinte en jaune de safran.
Le carthame est une plante dont les graines donne une huile très intéressante. Les pétales donnent deux types de colorants, des jaunes que l’on élimine habituellement en les lavant en les malaxant vigoureusement. Ce qui reste est traité avec du jus de citron et l’on obtient une teinture rose vif, très belle mais peu solide à la lumière.
B – Les nouvelles matières tinctoriales
Avec le développement des voyages en Asie et la découverte du Nouveau Monde, apparaissent de nouvelles matières tinctoriales. Une première disruption dans le monde de la teinture et nous assistons aux premières délocalisations des cultures de plantes à teindre et à l’extension de la culture du coton, favorisées par le développement de l’esclavage.
Les bois jaunes, les bois rouges
On va importer des Indes et du Brésil de nombreux bois jaunes, tels que le fustet, le bois de Brasil, bois de Permambouc… Il ne seront pas admis en grand teint, mais pourront être employés en nuançage.
La cochenille du Nopal
Quand les Espagnol arrivent au Mexique et plus tard au Pérou, il sont surpris par la qualité et les couleurs des textiles des Indigènes.
Alors, ils découvrirent la cochenille que les Indigènes élevaient sur les figuiers de Barbarie. Elle est mieux concentrée en acide carminique.
Ils en importèrent des quantités phénoménales, bouleversant toute l’économie de l’Europe.
Indigofera
Les différents Indigofera qui poussent sous les Tropiques contiennent beaucoup plus d’indigo que le Pastel ou Guède qui avaient fait la fortune du Pays de Cocagne.
Cette culture provoquera même une guerre au Bengladesh.
Le bois de Campêche
Ce bois rouge, est broyé en équilles, il est capable de teindre en bleu, en violet en mordançant au fer et en noir. Un vrai noir quand on le mordance au bichromate de potassium… Il permettra la grande mode du noir.
Les mordants
Plus besoin d’aller faire des Croisades pour réouvrir l’accès aux mines d’alun. On découvre un gisement près de Naples, ce sera l’Alun du Pape.
C – Chimie moderne des couleurs
Juste au moment où les recherches aboutissaient sur de nouvelles technique, la chimie de synthèse provoque une nouvelle disruption…
Jusqu’à la découverte de la mauvéine par William Henry Perkin en 1856, toutes les teintures faisaient appel à la chimie verte (sauf quelques mordants toxiques).
La chimie grise se donne des couleurs
À partir de 1856, se développe toute une gamme de couleurs de synthèse qui remplaceront très rapidement les couleurs cultivées.
Voilà que cette disruption provoque des bouleversements un peu partout dans le monde dont l’importance augmente avec l’industrialisation.
- Par exemple, dès 1900, l’Allemagne qui était grosse importatrice de teintures naturelles devient exportatrice avec ce qui deviendra Bayer.
Une gamme théoriquement complète
En théorie, la gamme est complète.
Mais les couleurs peaux, sont très difficiles à obtenir. Nos fournisseurs ne proposent pas de mélange tout fait. Au local d’Angel, on m’en demande très régulièrement, pour les visages des poupées en feutre. Évidemment, j’ai trouvé une solution, mais, j’ai dû avoir recours à une astuce pour obtenir ce genre de teinte.
C’est tout de même curieux, quand on va voir les immenses hangars pleins de cônes de laines industrielles à La Ligua, ou si l’on va directement chez des grands distributeurs comme Ukryl, à Santiago, il manque toujours des couleurs- Ce sont celles qui ne sont pas supposées être à la mode.
Une fois, je cherchais des tons saumons, abricots… C’était introuvable. La seule qui avait quelque chose d’approchant était une vieille qui gardait des stocks d’invendus…
Un peu de poudre et puis voilà
C’est devenu trop facile. Plus besoin de récolter des plantes, de les faire tremper, toute la casserole peut être remplie de laine.
Malheureusement, c’est tellement facile, que le travail est souvent mal fait. On ne lave pas avant de teindre… Résultat: les couleurs sont fragiles et partent polluer la nature au premier lavage.
Certaines couleurs, en particulier les jaunes se mélangent mal dans le bain. Elles ne se fixent donc pas bien sur les fibres et partent tout de suite à l’égoût.
Des teintes qui varient
Ces poudres miraculeuses permettent d’être très créatifs. On peut mélanger plusieurs couleurs dans une même casserole, obtenir des variations de teinte tout le long du fil… ou simplement de petites taches parsemées… J’avoue que j’ai pris beaucoup de plaisir à teindre ainsi pour Angel. Je m’efforce de faire varier les effets de teintes.
En effet, les possibilités sont infinies et ne dépendent que du temps à y consacrer et de la quantité de matières premières.
Au contraire, cela peut provoquer une certaine standardisation, quand on s’en tient aux teintes des gammes des fournisseurs et on retrouvent les mêmes couleurs tout au long du pays. Les femmes qui filent se spécialisent dans certaines couleurs qu’elles réussissent bien et se copient.
Et les fluos
En teinture textile, je n’en ai pas trouvé chez mes fournisseurs, rose un rose très vif.
En revanche, pour les industriels, de nombreuses fibres synthétiques, sont teintes dans la masse dans ces teintes fluos. Les étals des marchands de laines dans la banlieue haute de La Paz, appelée El Alto (Bolivie) sont impressionnants. Je n’ai malheureusement pas pris de photographie. Dans les alentours du célèbre marché de 16 de Julio, ils empilent les cônes en arc-en-ciel fluos, couleurs très appréciées dans le monde andin.
Mais en encre de sublimation et de sérigraphie, il y a une assez grande variété.
N’oublions pas la toxicité
- Nous avons affaire à des poudres, on en respire souvent quand on les manipulent.
- Elles ont été étudiées spécialement pour se fixer sur les protéines, et notre corps en contient beaucoup…
- Les teintures chimiques contiennent souvent du chrome, du cadmium… ou d’autres éléments dangereux pour la santé.
Plus de pétrole, plus de couleurs
Enfin, toutes ces couleurs chimiques sont des dérivés du pétrole. La prochaine pénurie de pétrole nous obligera à un retour à la chimie verte.
D – Teintes d’avenir?
Le retour de la chimie verte
Un fait est certain, c’est que tous les poisons, même les plus violent que produisent les plantes, les champignons et les animaux sont tous biodégradables. Voilà la magie de la chimie verte.
Les séminaires internationaux tels que ISEN-WEFT, IFND, IFPECO, auxquels j’ai assisté tentent justement de promouvoir la recherche dans ce domaine. J’attends avec impatience le prochain.
Il est à noter que ces symposium n’intéressent pas que des artistes, des designers ou des archéologues… De très grosses entreprises gourmandes en matières tinctoriales s’intéressent depuis longtemps à un retour à une chimie verte, pour proposer des produits verts…
Teindre avec des déchets végétaux
N’oublions pas que nous pouvons teindre avec des déchets végétaux, des plantes invasives, puis encore les recycler après la teinture ou l’extraction des colorants en compost ou biogaz…
Nouveaux mordants
Dans le DVD 3 de Michel Garcia, il parle de mordancer avec de l’oxalate de titane. Avec les tanins, cela donne des oranges vifs.
Sans mordants
Les mordants peuvent être considérés comme une source de pollution et souvent comme un coût supplémentaire prohibitif dans beaucoup d’endroit. Leur élimination doit être une direction de recherche non négligeable.
Il faut apprendre à tirer profit des tanins et des plantes bio-accumulatrices.
Ces tendances nouvelles sont en fin de compte un retour à des pratiques ancestrales.
Ecoprint
Cette technique récente développée par India Flint, permet d’obtenir des empreintes de plantes qui révèlent ainsi leurs teintes cachées et font apparaître des textures insoupçonnées.
Économique et écologique, cette technique permet de recycler des vêtements usagés.
Les couleurs fongiques
Depuis quelques années, les teintures à base de champignons sont très à la mode, notamment aux États-Unis.
En français, Dominique Cardon en parle assez longuement dans ces livres et Marie Marquet vient de leur consacrer aussi un livre.
Souvent, ces champignons ne sont pas cultivés parce qu’ils appartiennent à la catégorie des toxiques.
Cependant, l’arc-en-ciel complet peut être obtenir à partir de champignons et lichens. Car, il ne faudrait pas abuser de la récolte de ces derniers, ils sont lents à pousser. En outre, ils souffrent beaucoup de la sécheresse, du changement climatique et de la pollution.
Les couleurs bactériennes
Très récemment, j’ai suivi un Mooc sur la mode circulaire, de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas (Edx). Il mentionnait une société qui avait développé des teintures bactériennes. Je suis allée voir leur site, on y voyait de nombreux textiles innovants, des gammes complètes de teintures naturelles, mais pratiquement rien à ce sujet précis.
Cependant, par hasard en visitant un groupe sur le nettoyage par fermentation des laines sur Facebook, j’ai vu une communication d’une Américaine qui était très choquée d’avoir vu sa toison de luxe qui avait viré au rose vif, une bactérie non désirée avait développé cette teinte surprenante.
Lorsque j’ai assisté à une conférence où les étudiants de l’Université Catholique de Santiago du Chili présentaient leurs travaux… une des étudiantes m’avait posé la question de teindre avec des bactéries. Il y a donc un intérêt pour la question.
C’est un sujet d’avenir à développer.
Conclusion
Cette chimie verte à un grand avenir dans différents domaines: peintures, teintures, cosmétiques, aliments…
Même dans la construction, il y a un regain d’intérêt pour les enduits et peintures naturelles.
Hélas, cet article touche à sa fin. Je vais certainement le compléter dans un futur proche. Parce que je n’ai pas encore épuisé le sujet, j’y reviendrai prochainement.
Je tiens à rappeler que je ne touche aucune commission sur les livres ou autres produits mentionnés ou conseillé. Ce site n’est pas monétarisé.