Y-a-t-il une saison pour teindre?
A cette date de changement de saison (fin de l’été au Chili), cette question m’est venue à l’idée.
En fin de compte, on peut teindre à n’importe quelle saison, mais le travail de la laine est souvent une activité saisonnière comme la majeure partie des travaux agricoles. La production de la laine est un travail de longue haleine, heureusement il s’agit d’un produit non périssable… Il en est de même pour la soie.
Il y a une saison pour tondre
En général, on tond les moutons au printemps, si possible avant que les plantes ne montent en graines. En effet, celles-ci peuvent s’incruster dans la laine et la rendre très désagréable à filer, d’autant plus que certaines graines de plantes qu’apprécient particulièrement les moutons peuvent être très piquantes (alberjilla, par exemple), d’autres s’emmêlent comme les graines de marubio que les paysans de La Ligua appellent « clonques », elles sont pourvues de plein de petits crochets et se séparent quand on veut les enlever…
D’autre part, les moutons commencent à avoir chaud, la tradition veut que l’on ne tondent pas un mouton s’il a plu la veille. C’est pourquoi quand j’ai voulu apprendre à tondre les moutons, cette expérience a été reportée plusieurs fois à cause de la pluie, nous avons fini par tondre en janvier, ce qui est un peu tard, à La Ligua.
Saison de lessives
Il vaut mieux profiter qu’il fait beau pour laver la laine. Mais la laine se file mieux si elle a encore sa graisse (la lanoline). Le lavage avant de filer de la laine de camélidés (alpaga, llama…) est déconseillé, le peu de graisse présente aide beaucoup à la filature de ces fibres très lisses et n’ont presque pas d’odeur.
Le lavage de la laine doit être assez délicat pour qu’elle ne feutre pas, il faut donc éviter les chocs thermiques. Ne pas la sortir brutalement d’un bain bouillant, je laisse systématiquement refroidir jusqu’au lendemain tous les bains de teintures, il doit en être de même pour les lavages. Mais un bon lavage est très important, sinon les teintures, même de grand teint ne se maintiennent pas…
Dans le Sud, que fait-on?
Dans la zone de Puerto Montt, on profite des clôtures en fils de fer barbelés pour étendre quelques temps les toisons aux intempéries qui élimineront la majeure partie de la poussière et un peu de suint. Il faut dire que le climat est très pluvieux normalement dans cette zone. Il faudra bien laver ces laines une fois filées.
L’été, quelle saison!
Normalement, c’est la saison des ventes aux touristes, il y a beaucoup à faire… Il y a toutes les autres activités agricoles et commerciales…
Mais, cela peut être la saison idéale (avec le printemps) pour teindre, il y a plus de plantes… La laine sèche beaucoup plus vite, ce sont de bonnes raisons pour teindre si on en a le temps. On peut en profiter pour teindre à l’extérieur, c’est l’idéal.
Il faut penser à récolter les plantes, et les faire sécher si on ne teint pas tout de suite. En automne, on peut profiter des feuilles mortes… Chaque plante a sa saison, certaines disparaissent vite après la floraison pour laisser la place à d’autres…
L’artisanat est généralement une activité complémentaire, il est difficile d’en vivre exclusivement, d’autant plus qu’il s’agit d’une activité dévoreuse de temps. Et celui-ci n’est pas valorisé ici.
Saison pour filer
Avant de commencer à filer, il faut bien sélectionner les laines… Tous les moutons n’ont pas une bonne laine. Les brebis ont généralement une laine plus fine et plus agréable que les béliers… on doit souvent réserver leur laine pour faire des tapis (je me rappelle d’un bélier noir et blanc que j’avais tondu avec mon amie Raquel à Mamiña, il était beau, mais sa laine était très rèche, les brebis avaient une laine courte, mais très douce, on était obligé de la rincer avant de la filer à cause de la poussière acide qui venait de la mine de cuivre à 15 km, qui me fendait la peau des doigts quand je filais.).
Outre les différentes races, sur une même brebis, il y a différentes qualités de laines, il y en a de très sales, des courtes, des longues.
Les laines les plus courtes donneront des fils plus épais, les laines plus longues permettent de filer plus fin.
Photo
A Puerto Montt, les fileuses de laine, ne veulent que la meilleure laine, elles éliminent les pattes, la queue, le ventre, les laines courtes… Pour acheter 10 sacs de laines, elles en vident 25… D’autant plus que le Ministère de l’Agriculture, ici encourage à élever des moutons pour la viande (ils doivent avoir la laine courte, ne pas avoir de laine sur le ventre…), résultat: les brebis noires et grises locales (bien adaptées au climat et qui donnent de très bonnes laines) disparaissent. Il est vrai que le prix des toisons est dérisoire et que maintenant beaucoup ne savent pas quoi en faire, bien que beaucoup de femmes, ici, tentent d’arrondir leurs fins de mois en filant.
Nous n’avons malheureusement pas de jardin, sinon tous ces déchets de laine constituent un paillage très intéressant, je l’avais testé à Mamiña, en plein désert d’Atacama, j’avais abandonné pendant trois mois de voyage, la menthe avec un paillage de laine, et je l’ai retrouvée bien verte… La laine retenait l’évaporation de l’eau.
A Puerto Montt, nous avions aussi semer des pommes de terre dans des sacs de déchets de laine, ceux-ci venaient parfois avec des crottes de moutons. J’étais en voyage quand elles ont récolté et mangé les pommes de terre.
Que faire après la sélection?
Après la sélection, vient la préparation de la laine pour la filer. Le rêve de toutes les fileuses de laine est d’avoir une machine à carder. Elles ne sont pas toujours très efficaces. Sans moteur, c’est très fatiguant.
La première que nous avons achetée très chère, a les piquants trop petits et trop mous. Nous pensions pouvoir louer le temps d’utilisations aux femmes qui en avaient besoin. Mais la machine n’admet pas les laines sales. Même les laines propres doivent être ouvertes, préparées… sinon la machine se bloque. Enfin de compte, il faut lui faire avaler du ruban cardé à petite dose! c’est une machine pour artiste, pour mélanger des laines déjà cardées, rajouter de la soie, faire des mélanges de fibres…
J’ai fini par me faire faire un appareil que je traite de Viking, vu qu’il s’inspire d’appareils à carder qu’ils utilisaient. Il s’agit de deux planches avec des clous, l’une fixe, l’autre mobile, on y met la laine par petits paquets, on tire la planche mobile vers soi et la laine est presque prête à filer.
Chez Rincón de Angel, nous avons eu à la vente une machine à carder, dotée de rouleaux avec des clous, un peu plus efficace, mais je n’ai pas osé l’essayer avec de la laine brute.
En tout cas, la cardeuse n’élimine pas les déchets de végétaux, qui peuvent être nombreux si les animaux sont enfermés (souvent le fourrage est distribué dans le même enclos), vont se frotter contre des buissons épineux ou si la tonte n’a pas été faite dans un endroit propre.
Le plus simple est donc de préparer la laine à la main, cela permet d’éliminer un maximum de pailles, graines et autres déchets… Il faut éliminer toutes les pointes brûlées par le soleil et les poils plus durs. Tous ces déchets ont des noms en aymara. Tout ce nettoyage prend son temps et élimine du poids de laine. Une fois filée, le poids de la laine a diminué au moins de la moitié.
Cette étape est très longue, mais très importante, elle influe directement sur la qualité finale de la laine.
Mieux la laine est préparée, plus le résultat sera régulier, solide et agréable. Une bonne préparation permet aussi de filer une laine plus fine. La filature sera beaucoup facilitée par une préparation minutieuse.
Enfin la filature
Là, nous avons deux options: le fuseau ou le rouet.
Je préfère filer au fuseau, bien que cela soit beaucoup plus long, je peux le faire même en marchant… on contrôle mieux le résultat, bien que je ne recherche pas à obtenir un fil très lisse, presque industriel… Plus on file fin, plus ce travail est long.
Le rouet, peut être à pédale ou électrique. Il est plus rapide, mais la préparation de la laine est alors encore plus importante, car la machine ne laisse pas le temps d’éliminer les impuretés, graines, pailles… Le rouet a aussi tendance à trop tordre la laine, ce qui la rend dure et difficile à travailler.
En général, ici on file surtout en automne et en hiver, souvent les femmes se réunissent en « minga » pour filer. Les hommes aussi filent.
Le lavage intervient le plus souvent après la filature, il doit être minutieux pour enlever un maximum de graisse car celle-ci pertube la teinture. Traditionnellement, les femmes faisaient souvent bouillir la laine.
Ce dégraissage est aussi important, car si la laine reste trop longtemps avec sa graisse, celle-ci s’oxyde et jaunit la laine.
Pour mieux filer une laine lavée en toison, il peut être judicieux de l’humidifier, cela facilite la filature.
Une fois la laine filée, si elle est sale, il faut la mettre en écheveaux pour la laver et la teindre, si elle est propre et qu’on la garde nature, on peut faire des pelotes. On peut teindre des pelotes, mais il faudra les défaire pour les faire sécher.
C’est ce que je faisais à Longotoma, c’est très long… Je filais la laine une fois lavée, et je file en préparant déjà une bobine…
Et, la teinture?
La teinture intervient donc souvent un an après la tonte au retour de la bonne saison.
En général, on teint la laine une fois filée. On peut la teindre en toison, la teinture est plus profonde, mais celle-ci doit être bien dégraissée, elle est plus difficile à filer après.
Quand je vivais à Mamiña je pouvais teindre à peu près n’importe quand, sauf pendant les étés pluvieux (hiver altiplanique). Il y avait beaucoup de vent, en un jour ou deux les laines étaient sèches.
A Puerto Montt, il pleut presque toute l’année. Presque tout le monde utilise des cuisinières à bois, c’est très pratique pour teindre, surtout avec les plantes où il faut de longs temps de décoction.
Quand on teint avec des pigments naturels déjà préparé ou avec la cochenille, on ne dépend plus de la saisonalité des plantes…
Pas de saison pour l’ecoprint
Vu le peu de matériel végétal nécessaire pour l’ecoprint, on peut le pratiquer en toute saison, dans une casserole dédiée à cet usage, dans la cuisine… S’il fait froid, mieux vaut laisser tremper plus longtemps.
Quand je suis allée à Madagascar, c’était déjà le début de l’hiver (mai 2017), nous avons trouvé beaucoup de plantes intéressantes, les feuilles de rosiers, par exemple…
On peut aussi faire les poubelles du fleuriste du quartier, ou mieux se mettre d’accord avec lui, les déchets exploitables en toute saison sont nombreux et variés, de quoi tester de nombreuses plantes…
Conclusion
La teinture puis le tissage sont donc très rapides en comparaison au temps nécessaire à la préparation de la laine et à la filature. Si la laine est plus propre et mieux filée, elle se tricote ou tisse plus facilement.
Quand on voit une pièce artisanale terminée, il faut cumuler tous ces temps de travail et d’attente. Qui se donne la peine de faire cette analyse?
L’étape la plus longue semble être la vente du produit fini.