Pour quelles raisons teindre?
Après les saisons, je me suis demandée les raisons pour teindre. Elles sont nombreuses et anciennes.
Les raisons de l’histoire
Dès la préhistoire, on trouve des traces de teintures. Les humains avaient déjà certainement de bonnes raisons pour teindre.
Michel Pastoureau, mais surtout Dominique Cardon mentionne des découvertes de plantes qui ne pouvaient être que tinctoriales, par exemple des graines de sureau yèble (toxiques) lors de la fouille des restes d’un village lacustre néolithique en Suisse.
Au Pérou, on a découvert le plus ancien textile teint à l’indigo, il a plus de 6000 ans. Pourtant, l’indigo n’est pas visible dans la plante, il doit être extrait par fermentation.
Des documents sumériens donnent des recettes de teinture à la garance et à l’indigo pour imiter la très coûteuse pourpre animale… Puis, on retrouve ces recettes sur des papyrus égyptiens…
La magie et la religion, une bonne raison?
Les premières utilisations de la couleur, le plus souvent minérale (ocres, argiles, craie, charbon…), pigments retrouvés sur les peintures rupestres et pétroglyphes un peu partout dans le monde.
Mais on retrouve aussi partout les peintures corporelles… protection contre le soleil et certains insectes, pour faire peur aux ennemis, marque d’appartenance sociale, état civil, de hiérarchie… représentant tout un code, qui sera plus tard remplacé par le vêtement dont la couleur reprendra une partie de ces rôles…
Les tatouages sont aussi des manifestations très anciennes de la couleur, de nombreuses momies égyptiennes (notamment au henné), mais aussi précolombiennes, même Ötzi portent encore ces traces de couleurs…
Importance sociale
Les différentes couleurs jouent un rôle social très important, qui diffère d’une société à l’autre (les perceptions ne sont pas les mêmes), et leur importance et signification évoluent aussi dans le temps. C’est ce qu’explique Michel Pastoureau dans son livre « Jésus chez le teinturier ».
Très vite, certaines teintures grand teint ou prestigieuses on été réglementées. Des lois sur les dépenses somptuaires exitent déjà chez les Romains, et se sont maintenu fort longtemps.
La couleur met en valeur tout ce quelle touche…
Raisons pratiques
Certaines laines (et même d’autres fibres, le lin n’est pas parfaitement blanc, le chanvre non plus, le coton était brun, roux, beige ou vert avant d’être blanc, certaines soies domestiques son jaunes ou vertes, la soie sauvage est brune) donnent parfois l’impression d’être sales (Michel Pastoureau parle même de teindre en blanc, ce qui a été longtemps un problème). Une fois teintes, elles sont beaucoup plus jolies (les fileuses de laine à Puerto Montt teignent systématiquement les laines un peu grises ou jaunâtres).
Et le pratique peut s’allier au plaisir…
Pour le plaisir
C’est toujours un plaisir de pouvoir teindre ou imprimer une matière brute. Et si le résultat n’est pas satisfaisant, on peut recommencer. C’est très amusant de jouer avec les mordants et les modificateurs. Que de surprises!
Teindre des fils permet aussi de broder des décors, de faire des brocard, des jacquard, des rayures, des écossais, des pieds de poules… du shibori, des ikat… des pochoirs, tampons, sérigraphie (j’oublie certainement d’autres techniques faisant appel à la couleur) et de faire varier ainsi les motifs.
Teindre pour la santé
De nombreuses plantes tinctoriales sont médicinales, peuvent repousser les insectes ou avoir d’autres effets bénéfiques pour la santé, tels que antiinflammatoires…
Les teintures naturelles obligent a travailler surtout avec des fibres naturelles qui sont normalement, si elles ne sont pas cultivées avec des pesticides (ce qui est souvent le cas du coton qui est aussi généralement OGM), sont beaucoup plus saines.
Que teindre?
Je travaille surtout avec la laine, c’est la matière première que j’ai à ma disposition en plus grande quantité, c’est le plus souvent le plus facile à teindre.
J’ai fait quelques tests sur le coton, la soie, le lin…
Mais on peut aussi teindre le cuir (en prenant des précautions, à froid), le bois (boutons, perles, par exemple), à Santa Fe, en Argentine, nous avons testé des coquillages, de la céramique, des plumes…
Michel Garcia, dans un de ses livres donne des explications pour teindre de l’osier, du cuir et même du plâtre.
Comment teindre?
Pour des raisons écologiques mais aussi économique, le mieux est d’utiliser des teintures naturelles, ce qui permet de renouer avec l’histoire et les traditions (les premières anilines datent des années 1850).
Nous devons aussi apprendre à utiliser toutes les vertus des fibres naturellement colorées, il y a des problèmes de blanchissement des troupeaux d’alpagas au Pérou, brebis au Sud du Chili. Il faut rediffuser les cotons anciens de couleur.
Teindre des laines grises ou beige, voir même plus foncées, peut être très intéressant.
Teindre, c’est facile et passionnant
Si même nos plus lointains ancêtres teignient leurs vêtements et biens d’autres choses, pourquoi ne le ferions-nous pas?
Et en plus, on découvre toute la magie de la chimie verte et de la botanique (certaines de nos plantes à teindre peuvent se manger en salade et certaines salades peuvent aussi teindre), il m’est arrivé de teindre avec du coriandre fané, cela m’a donné du jaune.
Quelle surprise voir un bain tourner immédiatement au jaune en ajoutant un peu d’alun, et que dire de l’indigo!
Et, même les enfants peuvent teindre.
Et si on teignait?
Cest une des raisons de l’existence de ce site web. Osons teindre, et faisons-le proprement… Il est temps de passer à l’acte. Il y a beaucoup à faire, faisons-le pendant qu’il en est encore temps.
Je suis entrain d’écouter une conférence du philosophe Bernard Stiegler qui dit que « il faut que les gens retrouve du temps de savoir ». Et, dans mon cas je tente de maintenir des connaissances de gestes et techniques qui sont entrain de se perdre.
Conclusion
On a toujours de bonnes raisons pour teindre, et encore de meilleures pour teindre naturellement, et ainsi d’allier l’utile à l’agréable.
Mes recherches en teintures naturelles m’ont amenée à m’intéresser à la botanique et à l’agroécologie.