// Des couleurs pour le plaisir //
Article mis à jour le 7 février 2020
Prochain retour en France du 25 février au 12 novembre
Organisons donc des ateliers! C’est facile
Teindre pour le plaisir des couleurs
Sauf l’exception paradoxale de la “teinture en blanc“, dont Michel Pastoureau signale qu’elle a longtemps posé problème. Teindre c’est faire pénétrer des couleurs dans des supports. Et en général, il faut que ces couleurs se maintiennent…
C’est la grande préoccupation des teinturiers professionnels, obtenir de belles couleurs qui ne s’effacent pas…
Les couleurs ont une histoire
L’histoire des couleurs remonte à la préhistoire comme en témoigne Dominique Cardon dans ses livres… des graines, des restes de plantes, des fibres teintes… ont été découverts dans de nombreux sites archéologiques très anciens. On a retrouvé dans les Andes des fibres qui montrent des traces d’indigo vieilles de plus de 6000 ans. Et pourtant l’indigo n’apparaît pas à première vue dans les plantes.
Les couleurs ont dû fasciner les hommes depuis la préhistoire, comme en témoignent les merveilleuses peintures rupestres et pétroglyphes qu’ils nous ont laissés.
Je vous laisse un lien pour un documentaire de la Chaîne franco-Allemande Arte: https://www.youtube.com/watch?v=qw2ExfFo7h4 et https://www.youtube.com/watch?v=QqoujmOXI14&pbjreload=10 plus long, mais en espagnol.
Des couleurs effacées
L’antiquité était certainement beaucoup plus colorée que l’on se l’imagine. De nombreuses statues grecques ou romaines étaient peintes de toutes les couleurs…
Les premiers pigments étaient sans doute minéraux, mais les végétaux ont été très vite utilisés pour les peintures corporelles comme le roucou est encore utilisé en Amazonie… Malheureusement les végétaux laissent moins de traces que les minéraux.
Les couleurs, de grandes voyageuses…
Elles viennent de loin dans l’histoire de l’humanité, mais les couleurs peuvent souvent venir de pays lointains. Elles ont de tout temps fait l’objet d’un commerce important, soit unies avec les fibres (soie, coton, laine…). Soit souvent, elles accompagnent les épices à l’état de matières premières… Elles peuvent aussi voyager sous la forme de graine.
Marco Polo parle à plusieurs reprises de textiles (notamment les différentes qualités de soie), mais aussi des teintures qu’il voit utiliser.
Les couleurs et les textiles ont provoqués les premiers cas d’espionnage industriel (voir Dominique Cardon et Michel Pastoureau). Les teintures ont même provoqué des guerres.
Des couleurs de luxe
La couleur est un luxe dans la plante, parfois elle est cachée (comme dans le cas de l’indigo et des tanins). La production de ces colorants a un coût énergétique pour la plante. Dans ce cas, elle doit utiliser des ressources pour se défendre au lieu de se développer… Parfois ces colorants n’apparaissent que dans certaines parties des végétaux, ou à certaines périodes de sa croissances, puis ils sont recyclés et transformés en d’autres molécules…
Francis Hallé explique dans une de ces vidéo comment une sorte d’acacias interagit avec des gazelles qui s’en nourrissent… par la production de tanins!
C’est pourquoi, il faut de grandes quantités de plantes pour teindre, il y a aussi des saisons pour les récolter… Il faut aussi souvent les cultiver…
Une valeur sociale
Certaines couleurs luxueuses étaient souvent réservées aux élites dans les sociétés anciennes. En outre, leurs usages étaient codifiés par de nombreuses lois somptuaires. Ces couleurs réservées ont évolué avec le temps et les codes de couleurs ne sont pas les mêmes partout dans le monde. Donc, ce sont des faits culturels et de sociétés qui évoluent.
Il existe une grande variété de plantes dites de petit teint qui étaient généralement réservées à un usage plus domestique, obligeant parfois à reteindre le vêtement quand la couleur était passée.
Des couleurs pour tous les goûts
Après ce bref résumé historique, passons à la partie technique… C’est pour moi un vrai plaisir de découvrir le résultat d’un bain de teinture. D’autant plus qu’à chaque fois je fais des tests, des expériences. Je prends de nouvelles plantes, de nouvelles fibres, de nouveau mélanges, de nouveaux modificateurs…
Des couleurs surprenantes
Certaines plantes nous réservent des surprises… On attend du rouge et obtient du vert… Cela arrive parfois. Un joli vert clair avec des pétales d’hibiscus rouge foncé, suite à l’ajout de pierre d’alun…
La lampaya qui m’a donné un joli pourpre très solide lors du cours à Pica, alors que le livre qui en parlait, rédigé par des teinturières traditionnelles, indiquait un beige…
Une même plante peut donner des résultats très différents, suivant si l’on chauffe ou pas le bain. Michel Garcia indique dans l’un de ses livres comment on peut obtenir un arc-en-ciel seulement avec des feuilles de pastel.
Des couleurs épicées
Curcuma, safran, roucou… teignent aussi. Malheureusement, ces teintures sont de petit teint. Le curcuma était cependant utilisé pour teindre les vêtements des moines bouddhistes.
Les couleurs qui s’accordent
Les couleurs naturelles semble se combiner toujours bien, certainement est-ce dû à la multiplicité des colorants présents dans chaque plantes. Certaines les collectionnent comme la garance qui n’en compte pas moins de 19 différents.
Différentes plantes, qui donnent des tons différents peuvent avoir certains colorants en commun. Alors que les teintures chimiques se concentrent sur une petite variété de colorants.
Les couleurs qui varient
Il y a des couleurs très instables, qui réagissent aux alcalis et aux acides, par exemple toutes les baies, le chou rouge… Certaines de ces teintures instables ont été utilisées pour fabriquer des réactifs chimiques… Les teintures grand teint ont vite été privilégiées. J’ai aussi consacré un article à ce sujet d’importance historique.
Il y a aussi des mordants et des modificateurs qui permettent d’obtenir des gammes de couleurs assez variées à partir d’une même matière tinctoriales.
L’un des exemples les plus admirables est la cochenille, je lui ai dédié un article dès la création de ce site.
Des couleurs lumineuses
Il y a des teintures qui donnent des couleurs qui apparaissent très lumineuses. Elles ont vite été sélectionnées par les premiers teinturiers. Parfois malgré leur manque de solidité à la lumière, comme c’est le cas du rose de carthame.
On pense tout de suite à la gaude, à la cochenille… mais je rajouterais aussi des lichens appelés “barbas de palo”, le schinus molle, le cuarasiña ou pin australien, la sorona ou brea, les feuilles d’eucalyptus et même parfois les épluchures d’oignons…
D’autres teintures peuvent paraître plus éteintes, mais l’eau et le récipient utilisé pour teindre peuvent influencer la couleur, notamment les casseroles oxydées. Je parle des problèmes de casseroles dans un article sur une casserole un peu spéciale.
Ajouter des couleurs à des laines non blanches
Il peut être intéressant de teindre des laines grise, beiges ou marron. J’ai fait des essais avec la cochenille, mais aussi avec le jaune de ronce ou du canelo et avec l’eucalyptus. Cela donne des résultats intéressants.
Pour teindre dans des couleurs très foncées et bien sûr en noir, il vaut mieux partir de fibres de couleur. Cette couleur naturelle de base s’ajoute à la teinture en l’obscurcissant. Si la laine d’origine n’est pas d’une couleur uniforme, la teinture ne sera pas uniforme. Mais cela peut être intéressant. Un animal n’est jamais d’un seul gris ou d’un seul ton de beige. Il a toujours différentes nuances et parfois des taches de différentes couleurs, il faut savoir en tirer parti.
Exemples précolombien
On peut le voir sur des textiles précolombiens. Par exemple, ceux en très bon état et très luxueux de la jeune fille qui a été sacrifiée au Cerro Esmeralda, à Iquique (nord du Chili), que l’on peut voir au Musée d’Iquique. Les teintes ne sont pas tout à fait unies (notamment dans les rouges), car ils ont dû teindre des toisons beiges. La vigogne n’a que très peu de poils blancs, le reste, la plupart du corps et les meilleurs poils sont beige, couleur vigogne.
Une amie Aymara, me racontait que les lamas et alpagas de plusieurs couleurs était sensés porter chance. Ils ont d’ailleurs un mot pour les désigner.
Couleurs à bains successifs
Pour obtenir de jolis verts vif on est obligé de passer par deux bains successifs: un jaune et un d’indigo.
Les violets et les orangés peuvent aussi être obtenus par bains successifs, mais il y a aussi des solutions simples. Pour les violets cochenille, bois de Campêche… pour les orangés cosmos sulfureus, par exemple, ou des mélanges de plantes….
Des couleurs dégradées
Selon la concentration de mordants et/ou de modificateurs, on peut imprimer sur des textiles différentes nuances. On peut aussi jouer sur le temps de décoction et sur le degré d’épuisement des bains. Car ceux-ci peuvent souvent être réutilisés plusieurs fois, en donnant des tons chaque fois moins saturés…
Des couleurs modifiées
J’ai consacré un article complet aux mordants et modificateurs qui permettent de changer complètement ou partiellement le résultat d’un bain. Lors des cours à Pica et à Santa Fe (Argentine), nous avons préparé des fiches résumant les résultats de ces tests. Ces fiches m’ont beaucoup appris.
Des teintes décevantes
Cela peut se récupérer, elles peuvent toujours être améliorées, j’ai déjà consacré un article à ces problèmes. Car rien n’est jamais perdu, la chimie des couleurs naturelles nous réserve toujours des surprises… Ces couleurs décevantes peuvent faire ressortir d’autres couleurs voisinent avec lesquelles elles se combineront très bien.
Les couleurs du bien-être
Des couleurs saines, pour assurer notre bien-être, c’est possible et les teintures naturelles peuvent aller bien au-delà. Par exemple, en protégeant contre certains insectes, comme l’indigo qui protégerait ainsi contre la malaria.
Certaines populations apprécient notamment l’indigo très foncé, presque noir, certainement pour cette raison. Il s’agit d’indigo naturel, bien sûr…
Des plantes bonnes de l’intérieur
D’autre part, de nombreuses plantes médicinales teignent et la plupart des plantes tinctoriales sont médicinales, contrairement aux teintures chimiques qui ont tendance à provoquer des allergies et même des cancers…
En général, les colorants jouent un rôle de protection dans la plante (comme par exemples, les tanins) contre des insectes ou des ravageurs herbivores. Cet effet protecteur nous est-il transféré à travers les textiles? Cela semble probable…
Certaines plantes adoucissent la laine, comme c’est le cas de la gaude.
Il semblerait aussi que les couleurs influencent notre état d’esprit.
Conclusion
Les teintures naturelles offrent une telle variété de couleurs… Cela est pour moi un plaisir découvrir de nouvelles plantes, de nouvelles combinaisons, de tester de nouvelles fibres… Puis enfin de tisser tout cela, certaines couleurs me plaisent tellement que j’hésite à les utiliser, d’autant que les quantités teintes ne sont pas grandes.
Concernant la théorie de la couleur et Goethe, un autre reportage d’Arte: https://www.youtube.com/watch?v=ARkldz8Im2w